Jean-Pierre Charland. Le Canada un pays en evolution. Montreal: Lidec, 1994. xxiii + 555 pp. $35,00 CAN. (cloth), ISBN 978-2-7608-4584-8.
Reviewed by Bernard Dionne (CEGEP Lionel Groulx)
Published on H-Canada (May, 1997)
Doit-on ecrire l'histoire du Canada ou celle du Quebec? Quelle epopee faut-il raconter: celle du grand pays multiculturel ou celle de la nation quebecoise en marche vers l'independance? Quels heros faut-il privilegier: Laura Secord, Wayne Gretsky et Pierre-Elliott Trudeau ou Honore Mercier, Maurice Richard et Rene Levesque? Qu'en est-il, a cet egard, du contenu des principaux manuels scolaires francophones de niveau collegial au Canada? Quelles visions du Canada et du Quebec y propose-t-on? Quelle integration des acquis de la nouvelle histoire y retrouve-t-on? Et quelle pedagogie vient au secours de la matiere, dans ces manuels de l'histoire officielle, ou didactique? Telles sont les questions que nous poserons a divers auteurs et nous commencerons cette serie de comptes rendus par l'ouvrage de Jean-Pierre Charland et al. Nous verrons plus tard les contributions de Couturier, celles de Ouellet, de Cardin et Couture, puis de Laporte et Lefebvre.
Une identite nationale canadienne.
Les manuels sont a la fois le condense des conceptions qui dominent le cenacle des historiens et le miroir (deforme?, deformant?) des preoccupations actuelles a propos de l'histoire du Canada et du Quebec.
Le manuel de Charland[1] est destine aux eleves de l'Ontario. Il nous presente l'evolution d'un sujet historique, le Canada, de son adolescence (colonie) a la maturite (nation). Pour lui, la population canadienne a pu se fondre en une seule nation, malgre de serieuses menaces a l'unite canadienne, dont les regionalismes, l'influence americaine et, bien entendu, le mouvement independantiste quebecois. C'est pourquoi, de l'aveu meme de Charland, le chapitre qui traite du rapatriement de 1982, de Meech et de Charlottetown est bien pessimiste! Que l'on ne s'y trompe pas: le propos est clairement expose, les faits et les materiaux historiques abondent et l'auteur, qui repond a une commande du ministere de l'Education ontarien, fait une bonne et large place au probleme quebecois. Mais ce qui en ressort, c'est un projet clairement affirme de construire ce que Carl Berger appelait une histoire whig, avec son heros, le Canada, ses victoires (gouvernement responsable, confederation, statut de Westminster et role d'acteur sur la scene internationale) et ses difficultes (le Quebec, les Etats-Unis, les autochtones, etc.) sur la route du progres (la construction de la nation). C'est sans doute pourquoi l'auteur s'inquiete candidement de la naissance de Radio-Quebec, qui est [comme chacun sait] en mesure de diffuser un message independantiste (p. 372) et qui va certainement a l'encontre de ce qu'il nomme, sans jamais la definir, la culture nationale canadienne.
Ainsi, le manuel est organise autour de trois themes majeurs: De la periode coloniale a l'autonomie interne; Caracteristiques et developpement de la nation canadienne et, pour finir, Questions d'interet national. C'est tout a fait logique qu'un manuel d'histoire canadienne soit centre sur un sujet historique, le Canada, et en trace l'evolution de la naissance a nos jours. Il ne faut pas croire, cependant, que le livre de Charland est unidimensionnel. Au contraire, ce manuel est exemplaire pour sa rigueur et la variete des historiens mis a contribution. De nombreux debats historiographiques viennent d'ailleurs enrichir le texte, que ce soit sur le role des missionnaires catholiques chez les Hurons (Delage vs Campeau) ou sur la nature du regime seigneurial (Trudel vs Dechene), en passant par le role de John Cabot (Dickinson vs Skelton), la theorie du staple (Innis vs Eccles), la societe de la Nouvelle-France (societe d'ordres, societe de classes ou warfare society?) et la conquete (ecole de Laval vs ecole de Montreal), pour ne donner que ces exemples. Curieusement, toutefois, il y a de moins en moins de ces debats dans la deuxieme moitie du manuel, alors que des evenements comme les rebellions de 1837, la nature de la confederation, l'identite culturelle canadienne, le fascisme au Canada[2] ou le rapatriement de 1982, ne font l'objet d'aucune presentation systematique de points de vus d'historiens divergents. Ce qui ne veut pas dire, encore une fois, que le texte decrivant ces evenements ne soit pas nuance et interessant, il va sans dire.
One nation.
Les unites quatre (L'Union), cinq (L'economie) et six (Le phenomene du nationalisme) illustrent les diverses facettes du canadian's nation building. Deja, l'unite trois (Vers le gouvernement responsable) presentait Papineau et les autres dirigeants nationalistes du Bas-Canada comme des radicaux opportunistes (p. 181), des agitateurs politiques qui convainquent des milliers de personnes de s'engager dans l'aventure insurrectionnelle (p. 182); les auteurs ne presentent comme debat sur l'interpretation a donner aux evenements de 1837-1838, que l'opinion, tres brievement formulee d'ailleurs, de Guy Fregault et Fernand Ouellet sur la presence du nationalisme canadien-francais avant ou apres 1800 ...
L'aventure insurrectionnelle terminee, ce sera la belle conquete du gouvernement responsable et le developpement de la nation canadienne: de la grande coalition de 1864 a l'echec de Meech, en passant par la "fausse theorie du pacte entre les deux nations" (p. 216-17) (les auteurs n'hesitent pas a qualifier ainsi cette illusion, si tenace, d'un pacte d'honneur que les deux peuples fondateurs auraient signe, le 1er juillet 1867 ... on sait ce que le rapatriement de 1982 et les jugements de la Cour supreme du Canada ont fait de ce pacte et du suppose droit de veto qui l'accompagnait!), un nouveau pays s'est construit. La population canadienne a ainsi "pu se fondre en une seule nation" (p. 345) malgre la presence de quelques menaces a l'unite canadienne comme la permanence de forts regionalismes, l'arrivee massive d'immigrants et la sempiternelle question du nationalisme canadien-francais.
Le manuel presente ensuite des questions d'interet national comme le role des premieres nations (25 pages) et celui des Franco-Ontariens (27 p.), la societe industrielle et le mouvement ouvrier canadien (pres de 40 p.!), et, pour completer le portrait du nation building, un tres long chapitre (69 p.) qui aborde toutes les facettes de l'action du Canada, devenu adulte, sur la scene internationale: la recherche de l'autonomie jusqu'au statut de Westminster et l'entree du Canada dans la Seconde Guerre mondiale; l'eveil de la conscience nationale; l'action du Canada comme puissance moyenne durant la guerre froide; et les annees Trudeau, marquees par l'aide au Tiers monde et l'entree de la Chine aux Nations Unies.
Quelques problemes secondaires
En page 3, on dit qu'il y a trois millions d'Amerindiens en Amerique du Nord en 1492: il faudrait preciser qu'ici, l'Amerique du Nord exclut le Mexique, car il y avait pas moins de 25 millions d'Amerindiens au Sud du Rio Grande lorsque Colomb debarqua a San Salvador. D'autre part, a quoi sert-il de donner la liste des cartes, des tableaux et des illustrations (p. xii a xx) si on ne donne pas le numero de page correspondante? Il y a quelques anglicismes, comme "rencontrer ses objectifs" (p. 3). Des cartes peu claires (p. 11, 17). En p. 191, c'est Etienne Parent qui ecrit dans Le Canadien et non Antoine; p. 363, c'est l'Action liberale nationale qui est dirigee par Paul Gouin et non l'Alliance liberale nationale.
Soulignons, en terminant, que ce manuel s'accompagne d'un Cahier d'exercices de 182 pages qui pourrait tres certainement interesser les professeurs du collegial qui dispensent le cours Fondements historiques du Quebec contemporain. Charland et ses collaborateurs nous ont donc fourni un excellent materiel, de niveau tres eleve, fort bien redige, accompagne de nombreux tableaux statistiques et de documents historiques, tres adapte au public franco-ontarien, et tres au fait des perspectives socio-economiques de la nouvelle (?) histoire.
Notes:
[1]. Quatre historiens se sont joint a Charland pour realiser ce travail: Jacques Saint-Pierre (Institut quebecois de recherche sur la culture), Robert Choquette (Universite d'Ottawa), Ruby Heap (Universite d'Ottawa) et Nicole Thivierge (Universite du Quebec a Rimouski). Ils ont tous ecrit des chapitres ou sections de chapitres.
[2]. Nous avons ecrit ce qui suit dans une recension de quelques manuels pour le compte de Spirale ((mars-avril 1997): "Pour Charland, il faut croire que le fascisme canadien n'a pas existe car il n'en dit mot. Seul le Quebec, encore une fois, est apparente au fascisme: il est vrai que "certains elements de la societe quebecoise sont fascines par les regimes fascistes d'Europe" et que "Adrien Arcand cree le parti national [social] chretien sur le modele du parti nazi". Mais c'est tout.. Pas un mot sur le fait que le parti d'Arcand etait federaliste et regroupait des milliers de sympathisants hors du Quebec. Pas un mot non plus sur l'existence des autres partis nazis ou d'obedience fasciste, tous crees a l'exterieur du Quebec, et pas un mot sur l'expansion du Ku Klux Klan dans l'Ouest du pays. Conclusion: l'eleve se dit que le repaire des fascistes au Canada... c'etait le Quebec." ("Quels manuels pour une histoire controversee?," p. 8-9).
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Citation:
Bernard Dionne. Review of Charland, Jean-Pierre, Le Canada un pays en evolution.
H-Canada, H-Net Reviews.
May, 1997.
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