Victor Davis Hanson. Le Modéle Occidental de la Guerre. Paris: Editions Les Belles Lettres, 1990. 298 pp. No price listed (paper), ISBN 978-2-251-38004-9.
Reviewed by Dominique Comelli
Published on H-Francais (March, 1999)
C'est un bouquin d'universitaire américain, alors, ça surprend : un peu plus confus par rapport à nos normes, et surtout c'est un bouquin très sensitif, très impliqué dans on écriture. je résume, mais c'est un bouquin qu'il vaut mieux lire (ça se lit en 2-3h), parce que l'écriture, les détails forment le coeur du livre, pas du tout les grandes idées théoriques, donc ça ne se résume pas vraiment. mais c'est un bouquin très stimulant et décentrant. Hanson s'interroge sur l'originalité du modèle de guerre occidental, c'est à dire la bataille d'infanterie, et le sujet de son livre, c'est la bataille d'hoplites, la fameuse phalange grecque, qui va vaincre les Perses et tutti quanti, et sera le plus efficace jusqu'à l'armée romaine.
1. C'est un mode de combat qui est lié à une classe de petits propriétaires terriens, capable de payer son équipement, mais pas trop cher, désireuse de chasser les étrangers qui piètinent ses terres, et donc acceptant de quitter l'abri protecteur des murs de la cité, soucieuse de ne pas laisser les aristocrates imposer leur occupation de l'espace militaire, qui se traduisait par le combat individuel à la mode homérique. ces paysans n'ont pas trop de temps libre, simplement après la moisson et avant les travaux d'automne, donc les guerres doivent être brèves et pas trop loin. 2. C'est un mode de combat lié à l'espace politique de la Cité, et d'une cité en bisbille permanente avec les autres. l'enjeu est donc de ne pas transformer cet état d'hostilité permanent (bien naturel dans les moeurs du temps) en état de guerre permanent , qui épuiserait très rapidement ces cités trop pauvres (cf justement les ravages de la guerre du Péloponnèse). donc il faut que la guerre soit courte (joyeuse, pas vraiment), qu'elle ne touche pas les civils (ce n'est pas du tout une guerre de conquête à la romaine, plutôt l'équivalent des rixes entre jeunes de villages voisins qui faisaient le charme de nos bals ruraux du samedi soir), et qu'une seule bataille suffise pour trancher, une bataille décisive. cette bataille doit être loyale, ruse et escarmouches sont sévérement condamnées, car elles empechent qu'on sache une bonne fois qui a raison, ce que peut faire la bataille d'infanterie ou tout le monde a jeté ses forces, et dont le résultat ne sera jamais contesté (disons jusqu'à l'été suivant, ou jusqu'à ce que la cité vaincue ait refait ses forces). c'était justement ça que violèrent les Romains du tout début : alors que leurs voisins et néanmoins ennemis Samnites ou Sabins etc .. fonctionnaient comme une cité grecque et considéraient qu'une fois que l'on avait mis la patée à quelqu'un ça suffisait pendant un certain temps et tout le monde s'en retournait chez soi pour vaquer à ses occupations après avoir signé un traité, ces teigneux de Romains recommençaient le combat jusqu'à ce qu'ils gagnent, violant ainsi toutes les règles. comme si le battu d'un match de boxe s'obstinait à continuer le combat sur le ring après que le vainqueur ait été proclamé.
Le combat d'infanterie qui rassemble presque tous les hommes -sauf les trop pauvres-, toutes les forces d'une cité est ainsi l'épreuve décisive. une seule bataille, brève (2-3h maximum) mais d'une extreme sauvagerie. mais le résultat de celle-ci ne sera jamais contesté. La phalange d'hoplites est ainsi ce qui correspond le mieux à ces besoins: tout le corps social qui compte est rassemblé, serré, et jette toutes ses forces d'un coup dans un affrontement qui tient de la mélée au Rugby ou de l'abalone, (pour ceux qui jouent de temps en temps à des jeux de société) pour les gens du Nord qui connaissent le carnaval de Dunkerque, c'est ce qu'on appelle se mettre en tas, au moment du rigodon final. Ce combat ne demande pas de compétence technique, à la différence des combats d'escrime de l'infanterie romaine par ex.: ces paysans n'ont pas le temps de s'entrainer. seuls les spartiates s'entrainent. ce qu'on demande c'est simplement de savoir pousser de toutes ses forces. de plus on est à coté de ses amis, voisins, parents, gens du même dème, ce qui ajoute encore au coté corps social soudé. 3. Concrètement, ça donne--et c'est là que le bouquin est unique à lire : ils ont refabriqué dans leur université californienne ces armes et cuirasses et expérimenté ça sur leurs étudiants, qui ne sont pas tous des demi de mélée de football américain, et ont donc bien souffert. De plus Hanson a un style unique pour évoquer tous les détails, les odeurs pestilentielles, la sueur etc...--une armure de 20 kg environ, rigide, et sous laquelle on transpire comme un boeuf (les guerres se passent en plein été, sous le soleil grec...) un casque de 3-4 kg, sous lequel on n'entend rien, avec un champ de vision très restreint, sous lequel l'air ne circule pas. or, les soldats ont les cheveux longs à l'époque, et non ras. c'est donc très inconfortable des jambarts rigides qui gênent la course un bouclier de plusieurs kilos, rond, qui couvre le corps jusqu'en haut des cuisses, creux, et qui est très encombrant, même s'il est protecteur une lance qu'on ne lance pas, à la différence du javelot, assez mince, le bois éclate donc vite. mais la pointe peut perforer avec la vitesse de l'élan une cuirasse. elle a de plus une double pointe sous la forme d'une pièce de fer au talon pour la ficher en terre, et qui sert au passage à perforer les corps des gens qui gisent à terre, (on imagine bien le petit coup secet vertical de haut en bas que donne le guerrier en train de marcher sur le corps de son ennemi à terre) une épée peu utilisée.
Comment se passe une bataille ?
Jusqu'au dernier moment, on fait porter les armes, la cuirasse, le bouclier etc.. par son serviteur (vu le poids et le pratique, on attend vraiment la fin pour s'équiper.
On se met en phalange, épaule contre épaule , protégé par son bouclier et le bouclier du voisin de droite, duquel on tend à se rapprocher. si bien que la phalange dans sa course est déportée vers la droite. avec la poussière et le fait qu'on n'y voie pas très bien sous le casque, ça explique que parfois les deux armées qui courent l'une vers l'autre sont à la limite de se louper, puisque chacune va vers sa droite, et qu'on ne peut modifier l'angle de la course une fois que l'ensemble est parti
On se rapproche de l'armée voisine, après s'être un peu observé (pas trop, parce que le soleil tape) . chaque armée essaye d'impressionner son vis-à-vis, par l'éblouissant de ses cuirasses polies. les spartiates sont en tunique rouge et jouent très habilement de l'effet bronze-rouge pour terrifier leur adversaire. on avance inexorablement, les spartiates tres lentement, (eux sont entrainés, et c'est leur lenteur même qui impressionne, par ce qu'elle revele de maitrise de soi) au son de la flûte, les autres un peu plus vite, mais au risque de se désunir, et donc de fragiliser leur cohésion. les 3 premiers rangs voient donc (les autres poussent à l'aveugle) se rapprocher peu à peu ce mur infranchissable de boucliers hérissés de lances, sur lequel ils vont s'empaler, poussés par ceux de derrière. Ils ont beau savoir qu'eux-mêmes présentent le même impressionnant spectacle, ça met tout le monde devant le spectre de sa propre mort. Hanson écrit là des pages réellement rares sur les sensations de la guerre, ça m'a fait penser aux 20 première minutes du soldat Ryan-. et certaines armées craquent, ralentissent, s'effilochent, font demi-tour. c'est pour cela qu'on met les plus expérimentés derrière, pour qu'ils poussent sans états d'âmes les jeunots de devant.
A 200 - 400m, on se met à courir pour ne pas rester exposés longtemps aux flèches, projectiles des quelques lanceurs, corps militaire assez méprisé, et surtout pour arriver avec le plus de vitesse possible sur les gens d'en face : le but du jeu est de désolidariser, faire éclater le front d'en face : une phalange qui se disloque a perdu la bataille. On baisse la lance à l'horizontale pour qu'elle soit moins lourde et pour blesser par en dessous le bouclier le gars d'en face : blessures à l'aine, gravissimes et douloureuses, ou à la cuisse très génantes : le soldat s'écroule et est piétiné par ses propres copains qui avancent. c'est dans cette phase de course que la phalange perd son coté de masse , car tout le monde ne court pas à la même vitesse (sauf les spartiates, entrainés etc..). la difficulté est donc de rester scotché à son voisin, quitte à courir moins vite et à être exposé plus longtemps aux projectiles. mais n'oublions pas que les soldats n'entendent rien, et ne voient pas sur les côtés...
Quand on est au contact de l'autre phalange, les deux groupes d'hoplites sont étroitement soudés, poussés l'un contre l'autre par leurs copains, les lances ont éclaté, on s'écrase , avec ce qui reste de la lance on essaye de blesser l'autre au visage ou au crâne. quand les armes ne servent plus à rien, on continue à mains nues, à coup de poing, en attrapant l'autre par la barbe, (les Macédoniens avaient compris qu'il fallait se raser..)les cheveux, le casque...
Ça dure jusqu'à ce que l'une des phalanges recule. A ce moment, ça va très vite. Mais il y a des cas où les deux armées ne se départagent pas. On comprend dans ces conditions que les batailles ne durent que quelques heures maximum, vu l'intensité du combat.
Les dégats : en moyenne, l'armée vaincue a perdu 15 à 20% de ses effectifs, l'armée victorieuse 5 % . On comprend qu'une seule bataille par été suffise, vu le nombre de morts, et qu'en général une cité ne fasse la guerre que 2 ans sur trois. On part à la guerre de 18 à 60 ans. Donc , en gros, un homme qui a eu de la chance et a survécu à toutes ses campagnes a quand même fait 20 à 30 fois cette expérience d'une sauvagerie inhumaine, et de la peur intense. Mais en même temps, ça ne dure pas longtemps, rien à voir avec nos guerres modernes. Il y a de belles pages anthropologiques, mais toujours sur le mode du vécu. Intéressant en particulier l'idée que ce n'est pas le hasard d'une balle qui vous fait mourir, mais quelque chose d'inéluctable vers lequel on est obligé d'aller.
If there is additional discussion of this review, you may access it through the network, at: https://networks.h-net.org/h-francais.
Citation:
Dominique Comelli. Review of Hanson, Victor Davis, Le Modéle Occidental de la Guerre.
H-Francais, H-Net Reviews.
March, 1999.
URL: http://www.h-net.org/reviews/showrev.php?id=2955
Copyright © 1999 by H-Net, all rights reserved. H-Net permits the redistribution and reprinting of this work for nonprofit, educational purposes, with full and accurate attribution to the author, web location, date of publication, originating list, and H-Net: Humanities & Social Sciences Online. For any other proposed use, contact the Reviews editorial staff at hbooks@mail.h-net.org.