Sharon Marcus. Apartment Stories: City and Home in Nineteenth Century Paris and London. Berkeley, Los Angeles, London: University of California Press, 1999. 323 pp. £13.95 (cloth), ISBN 978-0-520-21726-3.
Reviewed by Claire Hancock (matre de confrences en gographie l'universite Paris-XII-Val de Marne)
Published on H-Urban (October, 1999)
L'objectif affiché de l'ouvrage de Sharon Marcus est d'introduire la dimension résidentielle dans une compréhension de la ville moderne qui l'a dans une large mesure oubliée pour privilégier les lieux publics ; il ambitionne aussi au passage de bousculer certaines conventions des travaux universitaires qui tendent à se concentrer sur Paris lorsqu'il s'agit d'exalter l'urbanisme du siècle passé, et sur Londres lorsqu'au contraire l'accent est mis sur la domesticité. Enfin, l'auteur se donne aussi pour but de nuancer fortement, et de problématiser, l'usage stéréotypé des notions de public et de privé ainsi que l'interprétation féministe admise de l'"enfermement" des femmes de la classe moyenne au dix-neuvième siècle.
La méthode retenue se veut à la charnière de l'histoire culturelle et de la critique littéraire, dans la mesure où elle repose essentiellement sur l'analyse de discours divers sur le logement, qu'il s'agisse de fictions ou d'écrits de constructeurs, d'architectes, de journalistes ou d'officiels. Le postulat d'une telle méthode, auquel on souscrit volontiers, est l'idée que ces discours contribuent à produire les faits qu'ils prétendent décrire. L'auteur semble avoir fait le choix délibéré d'écrire un texte dégagé de notes ou de références qui l'alourdiraient, et qui sont rejetées en fin de volume : 80 pages de notes denses suivent ainsi les quelque 200 pages du texte principal, qui en conséquence se lit fort agréablement. La lecture est rendue d'autant plus agréable par un dosage savant des citations, par des illustrations habilement commentées dans le texte et par le fait que l'auteur ne cède pas trop aux phénomènes de mode intellectuelle et n'inflige pas au lecteur plus de références à Walter Benjamin et à Michel Foucault qu'il n'est strictement nécessaire pour son propos, ce dont on peut lui savoir gré. Touche finale à ce plaisir de lecture, les morceaux de bravoure les plus consistants de l'ouvrage sont consacrés à l'exposition et l'analyse de l'intrigue de romans en eux-mêmes assez délectables, Le Cousin Pons de Balzac et Pot-Bouille de Zola.
L'immeuble, ou l'appartement, est donc le prisme choisi pour aborder un thème important, la construction d'un modèle de domesticité bourgeoise qui a servi à fustiger le mode de vie des classes laborieuses et à confiner les femmes dans la sphère privée ; c'est aussi pour Sharon Marcus l'occasion d'exposer les failles du modèle. On peut s'étonner, dans une telle perspective, qu'ait été retenue aux côtés de Paris la capitale britannique, où, comme le souligne Sharon Marcus, l'immeuble est une forme de construction extrêmement marginale et la maison individuelle règne presque sans partage au dix-neuvième siècle : c'est cependant précisément dans ce contraste, dans la mise en place de modes de vie et de formes de logement totalement différents dans les deux villes, que réside l'intérêt et la pertinence de l'étude. On peut regretter toutefois que la confrontation ne soit évoquée que rarement et superficiellement, et que les développements consacrés à chacune des capitales soient juxtaposés plutôt que véritablement englobés dans un propos d'ensemble : ainsi la courte partie sur Londres s'insère-t-elle entre deux parties plus conséquentes sur Paris qui est donc traité bien plus en profondeur. Cette disproportion n'aurait en elle-même rien de trop préjudiciable n'était l'impression excessivement disparate que donne la mise bout à bout de petites études certes intéressantes, mais dont on peine à discerner l'articulation logique.
Ainsi la première partie, "Open Houses", qui porte sur Paris entre 1820 et 1848, retrace l'affirmation de l'immeuble dans le paysage parisien au travers de traités d'architecture, en insistant sur le degré de continuité entre l'espace public et l'espace privé ; elle se tourne ensuite vers le genre littéraire des Tableaux de Paris, qui utilise souvent l'immeuble comme outil de description de la vie parisienne, puis vers la figure emblématique de la portière, personnage féminin qui a pour caractéristique de se trouver en position d'observation et de contrôle. Le second volet de cette partie consiste en une esquisse de la position balzacienne quant à l'immeuble, et en une analyse du rôle de l'omnisciente portière du Cousin Pons.
La deuxième partie, "The City and the Domestic Ideal", présente le discours anglais du "home" et ses incarnations architecturales dans la ville de Londres, où les enquêtes sociales, entre 1840 et 1880, dévoilent des situations de promiscuité et d'entassement intolérables : la maison individuelle subdivisée entre plusieurs familles, ou pire, transformée en lodging-house, porte atteinte à l'idéal bourgeois de domesticité non moins fortement que les constructions collectives repoussées presque unanimement. Le malaise que cette subversion suscite chez les classes moyennes fournirait une des explications de la grande popularité, dans les années 1850 et 1860, des histoires de maisons hantées: la présence de fantômes serait une façon indirecte de signifier les désagréments de voisins trop proches ou trop bruyants et l'impossibilité de l'intimité familiale.
La troisième partie, "Interiorization and its Discontents" ramène le lecteur à Paris, durant la période 1852-1880, pour lui donner quelques aperçus de l'haussmannisation, du mouvement hygiéniste, et des préoccupations croissantes de domesticité manifestées par les architectes, pour s'achever par une analyse de Pot-Bouille.
Le propos énoncé en introduction disparaît totalement dans cet éparpillement de thèmes divers, et la perplexité du lecteur est aggravée par le fait que l'ouvrage s'achève en queue de poisson, sans la moindre conclusion qui lui permettrait de mesurer le chemin parcouru et de réintégrer les différentes facettes dans une argumentation globale. Les paragraphes consacrés à la construction à Paris et Londres n'apportent guère par rapport aux travaux existants, ou en oublient quelques uns (par exemple autour du leasehold à Londres, par ailleurs présenté de façon assez simpliste, l'auteur ne mentionne pas les recherches de D. J. Olsen, dont le remarquable Town Planning in London, Yale University Press, 1982, ne figure pas en bibliographie). L'argumentation du quatrième chapitre, "Enclosing Paris", selon lequel l'haussmannisation serait un mouvement de fermeture, convainc d'autant moins que l'auteur s'y appuie sur des discours concernant le modèle londonien ou sur la dénonciation d'apparences trompeuses qui existent depuis les premières décennies du siècle mais qu'elle semble découvrir avec le Second Empire ; enfin, citer Engels (p. 157) pour démontrer un prétendu rejet français de l'appartement est pour le moins maladroit.
L'analyse littéraire, moins superficielle, est souvent plus heureuse (l'idée de la maison hantée, par exemple, est fort astucieuse), mais se perd parfois en digressions dont on ne voit guère l'utilité. Certains points feront particulièrement tiquer le lecteur francophone, comme le fait que Balzac soit qualifié, de façon répétée, d'auteur "réaliste", ou encore des rapprochements de termes assez douteux et superfétatoires (p. 177, par exemple, les sonorités de boyau rappelleraient celles de boue). Enfin on ne peut que manifester de l'agacement que le mot façade, fréquemment utilisé, apparaisse systématiquement sans cédille
Au total, donc, il s'agit d'un livre qui se lit sans déplaisir, qui semble avoir des lumières de tout sans se piquer de rien, mais qu'on repose en se disant : "Et alors?". Et l'universitaire français ne peut que s'émerveiller (avec une pointe de jalousie?) qu'il se trouve des éditeurs aux Etats-Unis pour diffuser, et dans un beau volume, des travaux comme celui-ci.
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Claire Hancock. Review of Marcus, Sharon, Apartment Stories: City and Home in Nineteenth Century Paris and London.
H-Urban, H-Net Reviews.
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